GARÇONS (3)

Je me laisse pousser la barbe. Elle est blanche, me faisant une tête de patriarche qui ne me réjouit pas. Mes cheveux sont rares. Quand je me regarde dans la glace, à travers des lunettes pas très précises, je vois quelqu’un que je ne reconnais pas : qui ne correspond pas, veux-je dire, à l’image que j’aimerais donner de moi-même. Ce n’est pas tant que je me trouve laid, ou gros, ou vieux. C’est plutôt un effet de réalité, qui me forcerait à rester longtemps là si je tenais absolument à me retrouver derrière ce masque.

Samedi après-midi, en marchant avec Charles, je croise le regard d’un homme d’une cinquantaine d’années, probablement homo, qui me fixe avec intensité. J’y voudrais voir le reflet de la bonne humeur qui est la mienne, ce jour-là. Le soleil, la marche, le sentiment d’être délivré de mes pesanteurs quotidiennes me rendent heureux. En vérité, il doit être sensible à cette barbe qui me fait rentrer dans la case du bear, ou du daddy, ou que sais-je. Le même épisode se reproduit le surlendemain, alors que je reviens au Monoprix de la rue Saint-Maur (j’y ai repéré un étal de plantes vertes grâce à quoi je remplume mon jardin). Un type qui marchait devant moi sur le trottoir, en bermudas noir. Il fait ses courses non loin de moi, et me dévisage à la dérobée. Cela recommence cinq minutes après, tandis que j’inspecte les rares plantes restées en vitrine.

Ce genre de situation me dérange. Pas seulement parce que les types en question affichent un look pédé qui m’indiffère. L’autre jour, dans les allées de Monoprix, un garçon aux cheveux longs, aux traits féminins, attire mon regard. Il est sans doute pédé, lui aussi, mais avec une nuance d’androgynie qui éveille mon trouble. Il travaille dans le magasin. Je cherche une bouteille de sauce au soja, je pourrais lui demander où en trouver. Je préfère errer à la recherche de l’objet introuvable. Voici un autre vendeur, à qui je m’apprête à poser la question. Ce serait trop lâche de demander à celui-ci. Le garçon qui m’intéresse a disparu, derrière un rayon rempli de victuailles. Une femme, près de la caisse, pourrait me renseigner. Elle voit bien que je suis sur le point de lui adresser la parole. Je laisse ma phrase en suspens, et je m’éloigne, les mains vides.



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