GARÇONS (7)

Rêve : dans une chambre qui m’évoque les appartements paternels (rue Saint-Jacques, rue de Bièvre), j’hésite entre plusieurs couches. C’est bien le mot qui convient, car ce sont de modestes matelas posés à même le sol et recouverts de coussins. Je renonce à occuper l’un d’eux, qui est celui-là même où j’ai découvert mon père mort. Je me replie sur un autre “lit”, d’où j’entends des bruits bizarres, quelqu’un qui rôde. Bientôt, je m’aperçois que dans le grand salon mitoyen se tient l’assemblée générale d’une société d’auteurs. J’abandonne ma station couchée pour me joindre à leurs débats.

Ce rêve me fait penser à ma visite samedi soir à Mathieu, un étudiant des Beaux-Arts de Nantes, fraîchement débarqué à Paris et qui m’a écrit sur Facebook. Il fait ainsi la tournée des profs de cinéma (Antoine de Baecque, etc.), sans qu’on puisse trop démêler la part de l’arrivisme et d’une sincère fascination. Il a la tête pleine de Godard, de Gance, de l’“image éclatée” (tel est le thème d’une thèse qu’il envisage), et n’a pas de mots assez durs pour ce white cube où s’enferment les arts plastiques. Son jury de fin d’études, à Nantes, a été convié à admirer son travail dans un hôtel qu’il avait aménagé pour l’occasion. On parle de Sophie Calle, recevant des inconnus au cœur de la Tour Eiffel. On marche, depuis le restaurant où je l’ai invité, vers son nouveau gîte qu’il souhaite me faire connaître : une chambre chez l’habitant, en l’occurrence une dame âgée qui a besoin de compagnie, et le loge moyennant de menus services. Cela se trouve à l’orée du boulevard Saint-Germain, c’est plein de vieux livres de psychiatrie, d’éditions rares, d’affiches de Picasso côtoyant des statuettes africaines. Je n’avais jamais pénétré  dans un appartement grand bourgeois du cinquième arrondissement, et pourtant celui-ci a un air de déjà vu. Par la fenêtre, de l’autre côté de la cour, on aperçoit un vieillard, sous la lampe, qui déploie patiemment un ouvrage.

On discute à voix basse, pour ne pas déranger la propriétaire. La chambre où dort Mathieu ressemble à une cellule de moine, le lit à une banquette. Le seul luxe, ce sont ses livres qu’il a installés sur des étagères, et où je reconnais ses obsessions. Une marionnette de geisha. Il me redit son goût pour les cimetières, et me montre la photo qu’il a prise, dans un cimetière, de son amoureuse d’il y a six ans. Elle évoque une créature préraphaélite, les cheveux confondus avec l’ombre des arbres. Depuis, il a décidé de ne plus faire l’amour et sourit, sans m’en dire plus, quand je lui demande s’il a couché avec des garçons. Il me prend en photo, à mon tour, avec un antique Polaroïd – et c’est ma figure d’aujourd’hui qui émerge sur le papier, une figure d’homme de cinquante ans, que ne vient sauver nulle poésie. J’essaie, par la parole, de le convaincre d’avoir une histoire qui ne serait pas forcément sexuelle, pourquoi pas avec moi. Il se dérobe. Je n’insiste pas. Je pourrais souffrir d’être transporté dans cet espace-temps, si proche du jeune homme que j’aurais tant voulu être. Je ressens plutôt, le porto aidant, un certain flottement, une complicité avec ce passé qui est là, devant moi, toutes voiles dehors. Alors que je m’engouffre dans un Uber, il me demande, naïvement, de ne pas oublier de le faire écrire dans Positif. Je m’enfonce dans une douce euphorie.



1 Commentaire
  • Charles
    Posté le 13:02h, 04 novembre Répondre

    Toujours aussi beau

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