28 Fév FICTIONS (7)
Sensation étrange, hier soir, en regardant un film tourné sous l’Occupation : Le Voyageur de la Toussaint de Louis Daquin. Il s’agit d’une adaptation de Simenon, l’une des plus fidèles que j’aie pu voir de cet auteur. Je veux dire que l’intrigue (un héritage provincial, dont un jeune homme entreprend de démêler l’écheveau compliqué) importe moins qu’une atmosphère atone, en suspension. Le protagoniste semble évoluer dans un rêve de coton, ce qui se déroule n’a jamais l’air tout à fait vrai. On pressent, derrière, l’ironie de l’écrivain qui juge dérisoire l’industrie de ses créatures, et les renvoie à leur néant. C’est particulièrement sensible dans la scène, censée nous donner la clé de l’énigme, où Gabrielle Dorziat “avoue” le meurtre de son frère. Elle fait sa tirade, fait sa sortie – et Jean Desailly reste là, seul et désemparé, ne sachant plus à quel saint se vouer. Des accords de piano, au premier étage, résonnent dans le décor déserté. De tels temps morts sont rares dans le cinéma français d’alors.
Ce n’est pas là où je voulais en venir. Absorbé par mes idées fixes, affalé sur le canapé (dans une semi-léthargie qui continue, sans le savoir, les ciné-clubs ou cinémas de minuit de mon adolescence), je n’ai pas compris d’abord dans quelle ville se situait le récit. Un port quelconque. Vers la fin, lors d’une rixe entre Desailly et Serge Reggiani (si je ne me trompe), je me suis retrouvé projeté dans un passé proche, prenant un verre avec Harilay dans un café de La Rochelle. Ce mauvais garçon (lui aussi) se mettait des clips aux oreilles, et faisait son numéro de chien triste. Un café enfoncé dans la pierre, des arcades, des jeunes qui déambulent : c’était bien La Rochelle, reconstituée en studio en 1943, et faisant partie de ma vie. Je m’étais approprié, de l’intérieur, la fiction lointaine.
Michelle Herpe
Posté le 10:24h, 02 marssans le savoir ?