22 Sep GARÇONS (1)
Pour la première fois, ce samedi, j’ai pu prendre le thé dans l’arrière-cour qui me tient lieu de jardin. Autour d’une table de marbre et d’une statue de cuivre, lointaine survivance de la Poudarique, j’ai disposé quelques plantes, qui ont souffert de l’hiver. J’arrose, de temps en temps, le sol que j’ai fait peindre en rouge, et dont la couleur craque par endroits. Je me cale tant bien que mal, gêné par des vestiges que j’ai placés au fond : des jambes de mannequin, léguées par Cyril (c’était l’époque où il projetait de fabriquer des collants peints) ; des colonnes à l’antique, en stuc, achetées pour le tournage d’un film. L’un des pieds s’est effondré, laissant passer la poussière.
Parfois, j’ai l’impression d’avoir fait le tour d’internet. J’aimerais photographier les chats, mais ils vont et viennent, ou trônent sur les poubelles, peu photogéniques. En face, au quatrième ou cinquième étage, une femme déblatère, dès qu’il y a un rayon de soleil. Elle a une voix de fumeuse. Je devine qu’elle raconte ses amours malheureuses. Des pensées inutiles me traversent l’esprit, je m’en délivre comme je peux. De l’autre côté de la grille qui divise la cour, j’aperçois un jeune homme, que j’ai déjà vu passer devant ma vitrine. Il doit avoir vingt ans. Il a une beauté, qui me trouble, de garçon de bonne famille. N’osant lui parler, je vais chercher Charles, pour qu’il puisse l’admirer.
A mes coups à sa porte, Charles ne répond pas. Je reviens m’asseoir, feignant d’ignorer le beau garçon. Celui-ci me dit bonjour, il me demande si je n’aurais pas vu une balle de tennis qu’il a fait tomber depuis sa fenêtre. Je fais mine de fouiller dans l’invraisemblable tas de cageots et de planches qui nous sépare (cadeau empoisonné de l’épicier qui a déserté les lieux sans crier gare). C’est un nid à microbes, que je me garde d’explorer plus avant. Je lui donne le code d’entrée de l’immeuble, afin de venir chercher sa balle. Mêlant l’audace et la frayeur, je bloque l’entrée du couloir avec un paillasson. Pas question de rester là, exposé à tous les risques et surtout à celui de passer pour un dragueur. Il arrive aussitôt, et inspecte les lieux pendant que je reprends place derrière mon thé.
Un second voisin survient. Un bel homme, lui aussi, que je vois souvent fumer sa cigarette depuis son balcon et qui m’intimide. J’ignore si c’est à moi qu’il dit bonjour, ou au jeune homme au fond de la cour. Dans le doute, je n’ose lui répondre qu’à voix basse. N’ayant rien retrouvé, le garçon s’apprête à partir. J’ai renoncé, pour engager la conversation, à prétexter quelque audition pour un film à venir. Machinalement, je l’invite à me donner son numéro de téléphone, au cas où je retrouverais sa balle perdue. C’est alors que l’autre voisin lui demande ce qu’il cherche. Il croit bien l’avoir vue traîner dans la cour, cette balle perdue ; il est presque sûr qu’une voisine l’a jetée dans la poubelle. Je vois s’écrouler mon stratagème. Le garçon prend congé.
Cette petite scène me laisse indifférent. Je retourne à internet, à quelque archive incunable que j’essaie de découvrir sur l’INA ou sur YouTube, pour m’émouvoir. Je poursuis un dialogue sur Facebook avec un amateur de bondage. Je m’énerve de cette musique qui revient dans mes oreilles. Elle vient du garçon, au fond de la cour.
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