17 Mar MAISONS (1)
Rêve : je passe un long moment, dans une soirée, auprès d’un garçon qui a la beauté de Mathias M. (ce comédien que je fis jadis débuter dans Sud de Julien Green). Un visage pur, des yeux noirs, des cheveux sombres. Nous nous embrassons, comme deux amoureux qui se retrouvent après une longue séparation. J’ai le sentiment, déchirant, que s’évanouit le malentendu qui m’empêcha longtemps de déclarer ma flamme à Dominique M. C’est un cauchemar qui se dissipe. La vérité est là, indubitable, celle d’un amour partagé. L’amour est plus fort que la mort. Cela est écrit dans vos livres. Ainsi parlait la vieille Mrs Strong, dans la tragédie greenienne. Ce rêve m’a projeté dans cette évidence, et rejeté sur le rivage.
Rêvé aussi de Cyril, auprès de qui je dînais comme si de rien n’était, et qui avait repris sa place à mes côtés.
Rêvé encore d’une maison que je visitais. Elle m’intéressait moins par elle-même que comme objet d’un nouveau chapitre, pour ma chronique.
Je n’arrive pas à prendre tout à fait au sérieux cette recherche de maison. J’y consacre en moyenne une demi-heure par jour, à la faveur de ces thés rituels qui viennent scander mon travail, entre un clic sur le procès Fillon et un dialogue érotique sur Facebook. L’abondance même des annonces me décourage. J’essaie de restreindre le champ, de manière plus ou moins arbitraire, en m’interdisant de m’intéresser aux demeures se situant à plus de deux heures de Paris (à moins qu’elles ne se situent à vingt minutes maximum de la mer, sans compter la distance avec une gare qui est mon critère prioritaire, puisque je ne conduis pas). Avant d’avoir seulement regardé la maison dont il s’agit, je me retrouve sur Google Maps à calculer le temps que cela prendrait à vélo, à me demander s’il y a des taxis, à évaluer la fatigue de passer du train au car. J’ai assez rapidement éliminé les régions méridionales, trop difficiles d’accès (le Limousin) ou trop coûteuses (la Provence), pour me concentrer sur l’Ile-de-France, la Normandie, la Bretagne. Mais là encore, l’angoisse du choix m’oblige à m’inventer des raisons. Ici, je pourrai faire du vélo tous les week-ends. Là, je revivrai les épiphanies de mes promenades dans le Cotentin. Ailleurs, je revisiterai mon enfance et je prendrai, qui sait ?, une revanche sur mon père qui vendit contre mon gré la maison de Cancale.
Cette mauvaise foi me poursuit au point que je cherche, dans chaque annonce, le talon d’Achille, le défaut de la cuirasse, le vice caché. C’est presque un soulagement d’entendre l’agent immobilier m’avouer, au téléphone, que le raccordement au tout-à-l’égoût est impossible ou que le toit s’effondre. C’est d’ailleurs un malin plaisir chez bien d’entre eux. La petite maison dans la prairie, plongée dans un écrin de verdure paradisiaque ? Il faut que je vous donne quelques précisions sur cet “édifice”, me dit-on. Tout y est à refaire (inutile de vous envoyer d’autres photos, cela ne ressemble à rien). Mais vous devrez rebâtir de l’intérieur, en finissant par les murs et le toit – car le site est protégé, la municipalité sera vigilante sur l’obligation de reconstruire à l’identique. La fermette à la vue imprenable sur un riant paysage périgourdin ? Si vous n’avez pas de voiture, monsieur, oubliez. La maison de maître avec son parc, quasi château à 70 000 euros ? Le clerc de notaire se gausse de mes questions sur l’état du bâtiment. Elle feint d’ignorer qu’il existe une gare non loin de là, d’autant plus qu’avec les grèves… Tout est bon pour m’humilier, et me rappeler qu’à ce prix-là, je ne saurais m’offrir un vrai château.
Don Quichotte ravi d’échouer, je m’égare dans un fantasme dont je n’ai pas les moyens. Ma conseillère LCL, lorsque je lui ai annoncé mon projet d’acheter une maison avec le petit pécule dont je dispose, m’a fixé d’un œil perplexe. Elle ne m’a pas découragé, voyant venir un nouvel endettement. Combien je ferais mieux de rembourser mon crédit en cours, et de me payer, chaque été, des vacances en Italie ! Mais une envie d’utopie me fait prendre le chemin inverse. Je montre à mes amis, à ma mère, des photos de ces biens qui nourrissent ma rêverie. Ils attirent mon attention sur la vétusté de la toiture, sur les travaux qu’il va falloir effectuer (moi qui ne sais même pas planter un clou). Je saisis ces prétextes pour renoncer, comme je fais dans les soirées, trouvant chez X ou Y tel signe de médiocrité pour n’avoir point à le draguer. J’ai hâte d’aller me coucher, heurté par ce réel qui laisse la fenêtre ouverte sur l’infini.
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