07 Avr MAISONS (4)
Voilà deux semaines que je n’ai guère mis le pied dehors, sinon pour des courses ou de courtes promenades avec Charles. Ma dernière sortie fut pour aller visiter une cabane (dixit ma mère, au vu de l’annonce) : une cabane qui me plaisait, a priori, tant j’aime ces maisons de poupée peu intimidantes, où j’espère ne pas devoir faire trop de travaux. Sa situation face à la Seine, au bord d’un chemin de halage, et pas très éloignée d’une gare, semblait idyllique. Il y avait, déjà, des consignes nous dissuadant de sortir de chez nous. Il n’y aurait probablement plus de sitôt une occasion d’escapade.
Me voici gare Saint-Lazare, avec mon ami David qui rêve d’occuper une chambre dans ma future demeure. Je me suis muni d’un flacon d’alcool à 70%, avec quoi je me lave les mains dès que j’ai touché une poignée de porte. Je n’arrive pas à m’inquiéter de cette histoire. Nous devisons gaiement, David et moi, au long du trajet vers la Normandie. Il y a quinze ans, on allait à Caen, où il m’accompagnait pour filmer des travaux d’étudiants. Il m’énerve, en affectant de ne plus savoir qui pouvait bien être Dominique Noguez. En face de nous, une jeune femme en fauteuil roulant nous fixe d’un œil méfiant.
L’agent immobilier nous emmène dans sa voiture. Il porte beau, il a une oreille percée et des bagues aux doigts. Une certaine faconde, aussi, pour nous décrire les beautés de la région. J’ai pris soin d’explorer en détail Google Maps, et j’ai parcouru, virtuellement, tout le chemin où se trouve la maison, pour vérifier qu’il n’y avait pas de voisinage fâcheux. Elle est effectivement plutôt isolée, par rapport aux résidences cossues à la sortie du village. Ce qui l’entoure n’est guère exaltant. Le ponton qui figurait sur la photo a disparu. Une eau stagnante vient mourir auprès d’un banc crayeux. En face d’une fabrique de ciment, où les machines sont à l’arrêt, des bateaux passent, à intervalles réguliers, sur la Seine, transportant je ne sais quelle cargaison. Ils poussent une longue plainte, qui n’a rien de poétique. Des automobilistes ajoutent au concert.
J’essaie de m’abstraire de tout ce contexte, et de m’imaginer le soir, contemplant le fleuve. J’adopte différents angles. La véranda qui s’étale autour de la cabane, lui donnant vaguement l’air d’un saloon de western (une villa du sud américain, dit David). Le hamac qui traîne, au cœur des mauvaises herbes, dans le terrain en pente qui dévale à l’arrière (et qu’on a toutes les peines du monde à escalader). La banquette délaissée, prête à s’effondrer, où je m’assieds quelques secondes. Les sirènes insistent, m’empêchant de rêvasser. Il y a une parcelle de terrain au delà du grillage, qui permettrait d’étendre le jardin. Le type promet de se renseigner pour savoir si elle est à vendre.
On peut selon lui, si l’on veut, tout démolir et reconstruire à notre guise. Il s’agit bien de cela. Pendant qu’il nous ramène en voiture, je cherche des raisons de m’exalter. Il y a des chevaux, des animaux, des promenades à faire à vélo. Une église romane, un musée médiéval. Un groupe de gens nous dévisage, comme des visiteurs qu’on n’attendait pas. Des ouvriers, aussi, qui travaillent sur un chantier. Ils sont beaux et silencieux, et s’arrêtent pour nous regarder passer. L’agent immobilier continue de faire l’article, nous désignant les restaurants, les commerces. Il nous laisse dans un supermarché où je m’achète un sandwich.
Sur le quai de la gare, une femme, assise à côté de moi, n’arrête pas de tousser. Je me lève. David trouve qu’il y a décidément trop de travaux. Ce n’est pas le problème. Je tente de m’endormir dans le train, et il fait de moi une photo qu’il envoie à Charles. Bébé dort. J’ai l’air en effet, sur cette image, d’un vieux bébé contrarié. Je profite des derniers instants du voyage pour lire deux ou trois pages d’un livre. On marche depuis Saint-Lazare en parlant de tout et de rien, des débats féministes qui font rage depuis des semaines et dont la tournure misandre m’exaspère. J’ai les yeux mal rouverts de quelqu’un qui aurait bien voulu dormir, et l’esprit éteint.
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