MALADIES (3)

Séance pénible chez ma psy, hier soir. Enervé par une matinée d’écriture qui a été peu productive, je lui balance, la voix tendue, mes frustrations de n’être pas reconnu comme je voudrais l’être. Je pourrais lui parler de ce qui s’est passé, de ce fantasme d’offrir une fin à mon livre qui m’a bloqué pendant de longues minutes. Je répugne toujours à entrer dans le détail de mes obsessions, je me réfugie dans des considérations générales sur l’orientation à donner à ma vie. En évoquant ce lien qui ne se fait pas avec l’autre, dans le registre artistique ou amoureux, je suis presque agressif, vindicatif. Elle reprend sa vulgate, si souvent entendue, sur mes films qui sont formidables et qu’“ils” sont stupides de ne pas comprendre. Je vois bien, lui dis-je, que vous voulez me tirer du côté de la positivité, de la sublimation ; mais à quoi bon cette sublimation si elle ne satisfait en moi qu’un plaisir narcissique ? Je cite ce mot terrible de Cyril, à propos de mon film Fantasmes et Fantômes : “Il n’y a pas d’adresse.”

Elle me répond quelque chose comme : qu’en savez-vous ? N’auriez vous que mille lecteurs, ce serait déjà beaucoup si vos livres les bouleversent. Je me moque de ce lien aveugle. Je n’ose pas lui dire que je rêve d’un garçon, d’un étudiant, qui m’écrirait à propos de mon œuvre – et je finis par le lui dire. On ne m’approche guère que comme le biographe de Rohmer, l’auteur de bouquins sur le cinéma. Je m’apprête à dénoncer ces jeunes qui ne s’intéressent pas à la littérature, je préfère ravaler ce nouveau thème d’amertume. Elle se met à dire un peu n’importe quoi, à s’indigner de notre époque, à me célébrer comme un résistant dans le naufrage, que sais-je ? C’est notre conversation qui s’apparente à un naufrage, parce qu’elle se met au diapason de mon angoisse et de ma langue de bois.

Son patient de 19 h 30 lui téléphone. Elle lui dit qu’elle le rappellera dans quelques minutes. Je poursuis ma logorrhée, masqué, irrité. Peut être est ce un problème de “positionnement”. Je me représente, dans mes films ou mes livres, dans la position du père humilié, déchu, mis à mort. Je n’exhibe nul pouvoir, je n’assume pas le rôle paternel. Je demeure dans un entre-deux, j’incarne une chimère : ce monsieur barbu, en collants, qui se fait montrer du doigt par les beurettes. D’aucuns me disent que je devrais me laisser pousser la barbe, pour répondre aux critères de séduction. Ou alors, il faudrait que je bascule du côté du travestissement. Je mesure, tout en parlant, l’inanité de ces remarques, la manière caricaturale dont elles résument ma situation. Elle s’empêtre dans un discours sur les gens, qui seraient davantage prêts, aujourd’hui, à accueillir ce que j’appelle des “glissements de terrain”. Elle a un patient marié et père de famille, que travaillent ces questions. L’une de ses filles a mal vécu son changement de sexe (je crois comprendre, à demi-mot, qu’il s’agit de cela), l’autre l’accepte fort bien.

J’ai l’impression qu’on s’enlise dans un dialogue de sourds. Je voudrais trouver une conclusion à notre échange, dire quelque chose qui ne soit pas complètement vain. Je suis mal à l’aise, lui dis-je, dans ce rôle du père que je devrais pourtant occuper. Pour en finir, elle susurre un “Oui” sans appel. Je dépose l’argent sur son bureau et je m’en vais, non sans avoir jeté un furtif regard au miroir qui trône derrière elle.

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