23 Juin MALADIES (5)
Rendez-vous chez le médecin, hier matin, pour obtenir une ordonnance de radio. Mon bras me fait toujours mal. Cela me taraude, la nuit, on dirait que cela remonte jusqu’à la nuque. J’imagine une sclérose en plaques. Je sèche mes examens de sang, prescrits par mon médecin habituel qui est parti entre temps à la retraite. J’ai trouvé, pour les reporter sine die, tous les prétextes nécessaires. Ce n’est pas le moment de traîner dans une salle d’attente avec des vieillards, et de m’exposer aux germes flottants du COVID. Et puis, mon taux de sucre n’a pas encore eu le temps de fondre, je n’ai perdu que trois kilogs. Je n’ai pas tout à fait renoncé au vin.
J’ai à peine fermé l’œil, non pas tant à cause de l’angoisse que des idées obsédantes qui me traversent, des fantômes de pensée qui s’amenuisent avec le jour. J’ai écrit deux pages et demi, non sans difficulté. Je m’énerve, et fais un boucan d’enfer, parce que le placard où je cherche à récupérer mon dossier médical est bloqué par l’aspirateur de Charles. Arrivé avec quelques minutes de retard, je m’affole de ne pas trouver sur l’interphone le nom du médecin avec qui j’ai rendez-vous. Je ne suis pas sûr d’être dans la bonne salle d’attente. Les patients assis là ne savent que répondre à mes questions. Je sonne à nouveau à l’interphone. Il n’y a personne au standard. Une voix juvénile me rassure. Ils doivent me prendre pour un fou.
Je rassemble mes esprits, en lisant quelques pages des souvenirs de Pauline Carton. Je n’ai pas l’humeur à rire de ses paradoxes. Je trompe le temps en allant aux toilettes, en m’essuyant minutieusement les mains avec le gel hydroalcoolique qui est posé là. Le patient en face de moi porte un masque, je répugne à mettre le mien. Cela fait une demi-heure que j’attends. Une jeune femme vient me chercher. Elle me demande ma carte vitale, me pose quelques questions auxquelles je fais la réponse la plus neutre qui soit. Concernant le test de diabète (voilà le mot lâché, qui me terrifie), il vaut mieux, en effet, attendre que mon régime alimentaire ait porté ses fruits. Il y a quand même du sucre dans les sushi. Mon explication de mes crises de goutte par mon addiction au champagne (auquel je déclare avoir renoncé) ne semble pas la convaincre tout à fait.
Elle prend ma tension. 15. 10. Elle la prend une deuxième fois. 15. 10. Elle brandit sous mes yeux le mode d’emploi d’un tensiomètre, que je suis bien décidé à ne pas acheter. Je m’évertue à chasser cette nouvelle angoisse, en lui disant que 15. 10, ce n’est pas si élevé que ça. Elle fait une moue inquiétante. Elle me parle des risques d’AVC. Dans son trouble, elle a oublié de vérifier les réactions de mon bras droit. Elle me fait faire quelques tests auxquels je me plie sans conviction, cherchant, intérieurement, une porte de sortie à cet espace qui se resserre. Elle admet que l’insomnie peut influer sur le chiffre de ma tension. De ma consommation de thé, que j’invoque comme cause possible, elle ne dit mot.
Je ne la vois plus que comme une remplaçante incompétente, et suis d’ores et déjà décidé à ne plus remettre les pieds dans ce cabinet. Je m’attache aux détails accablants : son smartphone qu’elle saisit pour consulter les effets indésirables d’un médicament, son calepin qu’elle consulte, pas sûre d’elle, pareille à une étudiante anxieuse. On croirait qu’elle passe devant moi un examen, que je l’impressionne. Je la déteste de me laisser ainsi seul, avec mes démons. Le retour à la maison est privé de la faible légèreté que je convoquais à l’aller. Ma mère, au téléphone, me dit qu’il est plus normal d’avoir cette tension à cinquante-cinq ans qu’à quinze ans (j’étais, dès cette époque, sujet à de telles poussées). Charles en fait des tonnes en me racontant qu’on lui aurait trouvé 16. 8, en un temps où il ne dormait pas et se gavait de café. Ces maigres charités ne m’apaisent pas. Je tente une sieste, où je pourrais perdre de vue mon fantôme.
Michelle Herpe
Posté le 10:28h, 24 juinUn calepin, une seconde, je me suis demandé ce que c’était…