RÉSEAUX (10)

Nouveau psychodrame, la semaine dernière, à cause d’un bug sur le site Deliveroo (où je commandais tous les soirs, depuis un mois, les mêmes assortiments de sushi au même restaurant). L’application tient absolument à me faire commander deux fois un plat. J’ai beau cliquer à plusieurs reprises, ce seront deux bœufs sur tapis de riz et pas autre chose. De guerre lasse, je retourne en arrière, et je passe une nouvelle commande sans vérifier que la première est annulée.

Le livreur me refile (sans contact) un premier sac dont je vérifie le contenu. Il y a deux fois le même plat. J’ai à peine le temps de réagir, il est déjà de retour en me refilant un autre sac (correspondant, en fait, à la seconde commande). Je lui rends le premier sac, en jurant mes grands dieux que je n’ai jamais fait cette commande. Il semble affolé. Il récupère le sac en question, faisant une tête qui ne me dit rien de bon.

Deux factures s’affichent sur mon écran. L’une de trente-sept euros, l’autre de cinquante. Sans compter la TVA qui menace de grossir le chiffre. J’appelle séance tenante Deliveroo. Une voix pré-enregistrée me dit qu’en raison des circonstances, l’attente sera plus longue que d’habitude. Au bout de trois minutes, un jeune homme (que j’imagine en Afrique du Nord) recueille mes doléances. Il me laisse en suspens pour consulter un collègue. Je me suis bien gardé de dire que j’avais fait une fausse manipulation, et ne m’étais pas soucié de confirmer l’annulation. Ce ne sera pas possible de me rembourser, dit-il, il n’y a pas eu doublon. Je feins de ne pas entendre, et réitère ma demande. Le ton monte, jusqu’à cette parade d’autorité crispée que j’exhibe dans les grandes occasions. Il poursuit sa réponse, qui ne varie pas d’un iota. Il garde son sang- froid, je lui raccroche au nez.

Charles prend ma relève. Il appelle à son tour Deliveroo, et tombe manifestement sur la même personne, qui recueille sa doléance comme si de rien n’était. On le laisse en attente. Sa version, hélas, ne coïncide pas avec la mienne, car il prétend n’avoir jamais effectué cette malheureuse commande. Plus personne au bout du fil. Il réitère sa demande sur le site, où un interlocuteur numérique le laisse en attente. Il s’impatiente. L’interlocuteur quitte la conversation.

Il me dit que je puis faire opposition auprès de ma banque. J’en doute. Je passe à l’offensive auprès du restaurant. La patronne ne retrouve pas trace de la commande litigieuse. De toute façon, c’est avec Deliveroo, dit-elle, qu’il faut régler le problème. J’écarte avec mépris cette instance disqualifiée. C’est à elle de me faire un avoir, ou de me proposer un geste commercial ; je n’en démords pas. Je passe en revue toutes les possibilités qui lui sont offertes, de me restituer ces cinquante euros. Je fais valoir ma fidélité à leur restaurant, mes commandes quotidiennes. Elle me dit qu’il faut voir cela avec Deliveroo. Je hurle, je la traite de conne, je lui raccroche au nez.

J’ai épuisé toutes mes batteries. Je vais bien un peu fureter du côté du site de ma banque. Les pièces à fournir, en cas d’opposition à une transaction de carte bleue, sont nombreuses et rédhibitoires. Il faudrait fournir la preuve d’une annulation qui n’a pas eu lieu. Je me console en allant déverser mes aigreurs sur Trip Advisor. J’y raconte toute l’histoire, assortie de remarques désobligeantes sur la sauce trop épicée et immangeable. Je me plais à constater que d’autres commentaires client vont dans le même sens, et que le restaurant félon est quatorze millième et des poussières (sur dix huit mille adresses parisiennes). Je savoure, dans mon coin, ce plat qui se mange froid.




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