29 Juin RÉSEAUX (2)
Discussion, sur Facebook, avec un type que j’ai croisé dans une page de commentaires sur Julien Green. Je m’amuse parfois, à l’heure de l’apéro, à rechercher sur l’historique des réseaux sociaux les allusions à tel écrivain que j’admire ; dans le cas de Green, on tombe sur des lecteurs confits en dévotion, qui citent de lui les phrases les plus convenues, ou sur des thésardes qui s’intéressent à son œuvre à l’autre bout du monde. Le présent lecteur ne s’attache semble-t-il qu’à son théâtre. Il a lu toutes ses pièces (dont certaines que je n’ai pas lues moi-même), et se livre à de doctes gloses, dans nos messages privés, sur la structure dramatique de Demain n’existe pas, ou le rêve prémonitoire dans L’Ennemi. Ses analyses frisent le lieu commun. Il a l’air tout fier de m’apprendre que Green était catholique.
Je vante Sud, que j’ai naguère mis en scène, et fais mousser mon accès à INA Média Pro où j’ai récemment écouté la version princeps : celle de 1953, interprétée par Pierre Vaneck et Anouk Aimée (cela fait partie de mes excursions du dimanche après-midi, où je remonte à la source de pièces que j’ai aimées, découvrant, dans une relative désillusion, des enregistrements qu’à seize ans je me serais damné pour entendre). Vaneck était excellent, lui dis-je, et Aimée exécrable. Il convient que le rôle de Regina prête aisément à l’hystérie, et sollicite des précisions sur la fidélité à l’atmosphère du vieux Sud, telle que Green l’a reconstituée sur scène. Je ne sais que lui répondre. Il me paraît désireux de m’épater par des considérations techniques, tandis que je cherche à l’entraîner dans mes obsessions.
Il n’a pas eu le temps de lire le reste de l’œuvre de Green, ses romans, son journal. Je lui assure que c’en est la part la plus importante. Selon lui, de toute façon, le journal est un genre sans intérêt : ou bien on le publie de son vivant dans la Pléiade, et ce n’est qu’un déguisement ; ou bien il fait l’objet d’une parution intégrale, et ce ne sont que coucheries. Le journal, décrète-t-il, ne reflète jamais que l’ego surdimensionné de son auteur. Je renonce à démêler, dans ces propos que j’ai souvent lus ou entendus, le rôle que jouent le conformisme, la jalousie, etc. Je lui réponds qu’il tombe mal, car je publie régulièrement des volumes de mon journal intime. J’ajoute que c’est, à mes yeux, le genre littéraire royal, l’un de ceux qui résistent le mieux au temps s’il est pratiqué avec rigueur.
Je m’en veux de cette pétition de principe ronflante, mais il est neuf heures du matin et les mots ne viennent pas. Je voudrais lui parler de l’humanité du diariste, je voudrais citer Gide, Léautaud ou Jules Renard – mais je donnerais des verges pour me faire battre, car il a fait en sorte de ruiner, d’avance, toutes mes objections. Nullement gêné par sa gaffe, il reprend le duel. C’est quoi, un journal pratiqué avec rigueur ?
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