CHARLES (4)

Promenade avec Charles, hier, jusque vers le bassin de l’Arsenal. Beaucoup de monde dans les rues, presque autant qu’un dimanche ordinaire. On entend une femme s’engueuler avec des flics. On évite, dès qu’on aperçoit une voiture de police, de croiser son chemin. Des mecs font leur jogging, passant à quelques centimètres de nous. Je m’irrite, comme souvent, de voir courir une nana en tenue moulante, auprès de son compagnon qui porte un short. On se scandalise de voir ouverts tous ces marchands de vin, alors qu’on a fermé les librairies.

On s’amuse de ma tendance à m’énerver, quoi que fasse autrui. Les gens qui ne foutent rien m’agacent, les gens qui en font trop m’exaspèrent. Ce qui me sauve, c’est de savoir me moquer de moi- même. Charles le reconnaît, en citant un livre où je parle du fou qui me tire par la manche. Cela lui évoque une figure de la tradition juive, le Dibbouk, que l’on porte avec soi et qui ne regarde jamais que de travers. Il me parle des Juifs d’aujourd’hui, hantés, fût-ce inconsciemment, par le souvenir d’une Shoah qu’ils n’ont pas connue. Ce rapport à la mort, pour ma part, je l’éprouve plutôt du côté catholique, à travers les récits dramatiques que me faisait mon père.

Il me parle de ce goût que j’ai pour le passé, “plus que de raison”. J’aime ce qui pourrit. Je suis, à cet égard, l’opposé de son ami Viken, qui considère comme ringard tout ce qui ne touche pas au contemporain. C’est un thème fréquent de discussion, une façon de se définir dans le contraste des caractères. Viken est persuadé que, sans mon influence, Charles ne s’intéresserait pas à l’opérette, ou aux films de Jean Yanne. On projette de lui faire une blague, en lui faisant croire que Charles va écrire une biographie de Jean Dutourd. En remontant la rue Saint-Ambroise, on rit comme des collégiens.



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