MEMOIRES (3)

Sur le chemin des Halles, chaque jour, quand je finissais d’aller monter La Tour de Nesle, je passais devant un endroit qui m’a toujours intrigué. Cela se situe au croisement de la rue Saint-Sébastien et du boulevard des Filles-du-Calvaire. C’est une vitrine qui ne donne sur rien, sinon sur une rampe, installée devant un rideau – et où trône un buste de Molière. A côté, on a punaisé des vers de la Fontaine, censés faire allusion à quelque actualité qui m’indiffère. Ce qui me retient, c’est plutôt cet écrin absurde, au-dessus duquel on peut lire, en lettres jaunes et en relief : Théâtre du petit monde/Roland Pilain. Un nom qui ne dit ni plus ni moins aux passants que ceux de Marie Bell (Gymnase) ou Simone Berriau (Théâtre Antoine), non loin de là. Peut-être à cet emplacement, en 1830, venait-on applaudir un vaudeville ou une pantomime. Aujourd’hui, cela ressemble à la permanence désaffectée d’un parti politique, ou au local d’une mutuelle en déshérence. J’imagine, tirant les ficelles, l’un de ces théâtreux vieillissants (un Monchablon, eût-on dit à l’époque de Miquette et sa mère), souvent homosexuels et dépressifs, et qui s’acharnent, contre vents et marées, à enseigner à un public raréfié l’art de bien dire le vers. A-t-il des élèves ? Il n’est pas impossible qu’il campe là tout seul, émergeant de sa tanière pour ôter la poussière du buste, se récitant, tristement, les stances de Polyeucte.

Voilà pourtant qu’hier soir, en passant une nouvelle fois devant sa vitrine, j’ai aperçu du monde. Des gens attendaient devant la porte, comme pour un vrai spectacle. L’intérieur était éclairé, des spectateurs avaient pris place sur des chaises. Deux jeunes filles d’à peine quinze ans, au style de bonne famille, jouaient une pièce dans le genre Boulevard. C’est du moins ce que je croyais comprendre, au vu du téléphone que l’une d’elles faisait mine de décrocher, pendant que sa camarade penchait les yeux vers son texte. Il y avait dans cette scène esquissée, visible depuis la rue, où piétinaient dans le froid d’autres parents, une forme où j’aimerais m’évanouir, je ne sais comment.

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