MEMOIRES (4)

Jean-Laurent Cochet est mort, à quatre-vingt-cinq ans, du Coronavirus. Absurde téléscopage, entre cette maladie qui matérialise la mondialisation devenue folle et cet homme qui incarnait le chauvinisme et la nostalgie. J’ai aimé le détester, ou détesté l’aimer. A vingt ans, je courais à ses représentations du théâtre Hébertot, pour y voir un Mauriac ou un Becque échappés à l’oubli. Il n’y avait que lui, à l’époque, pour oser reprendre Le Sexe faible d’Edouard Bourdet. Les distributions étaient sans éclat, et la mise en scène poussive. Il avait perdu sa superbe du temps de la Comédie-française, et s’entourait d’une troupe de province pour la recommencer, au rabais. Il se répandait en déclarations furibondes sur l’abandon du répertoire, et, dans ses cours, exigeait des jeunes filles qu’elles fussent en jupe.

Il y avait, dans son passéisme, quelque chose de mécanique, de tournant à vide, qui me fascinait. Dans La Reine morte, montée dans je ne sais quel théâtre d’arrondissement il y a quinze ans, il boulait son texte à toute allure, s’interdisant la moindre émotion, entouré de garçons en collants qui le prenaient pour leur Jean Vilar. Souvent, sur internet, j’allais le retrouver fidèle à lui-même, à ses dieux dédorés, à ses fables de La Fontaine. Je m’apercevais qu’en fait, il avait toujours été ce qu’il est devenu. A vingt ans, au concours d’entrée du Conservatoire, il ouvrait la porte aux impétrants tremblants qui allaient paraître devant les statues du Commandeur, Aimé Clariond ou Madame Dussane. Reçu comme pensionnaire dans la maison de Molière, il déclarait en faire déjà partie, citant les emplois de comédie qu’il y avait tenus en tant qu’élève. Il était le maillon d’une tradition où il s’était enchaîné d’emblée, dans un mélange d’humiliation et de supériorité. De là, les hauts et les bas de sa carrière : il avait commencé en dirigeant de grands sociétaires, il finissait aux limites de l’amateurisme. 

Son orgueil fou marquait son jeu d’acteur. Il se voulait au-dessus de ses rôles, plus intelligent qu’eux, pressé d’en finir avec toute cette mascarade qui, pourtant, constituait l’alpha et l’oméga de sa vie. Qu’il joue Racine ou Labiche, c’était avec la même technique impeccable et blasée, qui reposait, me semble-t-il, sur l’obsession de n’être pas dupe. Drôle d’idéal pour un comédien, d’autant qu’il n’était certes pas un illustrateur du paradoxe de Diderot. Il avait plutôt tendance à rétrécir, jusqu’au fétiche, les textes qu’il aimait. Je parle de lui avec sévérité, mais avec une certaine tendresse. Il représentait, plus que quiconque, ce que j’aurais pu être.

1 Commentaire
  • Michelle Herpe
    Posté le 15:25h, 18 décembre Répondre

    Émouvant, pour le coup. Jean-Laurent Cochet, que j’aurais pris pour un auguste aîné, à peine plus âgé que moi ? Et Philippe Desbœuf (?), le roi, et celui qui jouait tout ronflant, comment s’appelait-il ? oh là là, que de souvenirs de théâtre au théâtre et dans le théâtre.

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